Entretien avec Mme Edda Müller
Réalisé par Mme Marie-Christine Armaignac pour la mission Egalité Femmes-Hommes de la Confédération internationale des anciens de l'ENA et de l'INSP
Promotion Rabelais 1973 « Sortir des sentiers battus, tout en mesurant ses responsabilités ». |
Sa carrière comprend des fonctions dans divers domaines de l'administration fédérale -Intérieur, Chancellerie, Environnement- et européenne-Agence pour l’environnement à Copenhague-, et de la vie politique, comme ministre de l'Environnement du Land de Schleswig-Holstein. Dotée également d’une notoriété scientifique, comme professeur honoraire à l’Université de Speyer et chef de département à l’Institut de Wuppertal, elle est actuellement très investie dans des activités associatives de défense des consommateurs, de lutte contre la corruption, à Transparency International Deutschland, et de protection du climat et d’extraction de matières premières sans corruption
A quel moment de votre parcours professionnel avez-vous eu l’idée de faire cette scolarité à l’étranger, et pourquoi à l’ENA ?
C’était au début de ma carrière. J'avais fait des études de sciences politiques et travaillais à l’époque déjà au Ministère fédéral de l'Intérieur. Un de mes collègues était un ancien élève de l’ENA et a attiré mon attention sur cet établissement prestigieux. Le Ministère a appuyé ma candidature. Le facteur décisif a été le dépassement de l'hostilité entre l'Allemagne et la France, initié par le traité de l'Elysée de 1963. J'étais convaincue que les responsables de l'administration et de la vie politique allemande devaient apporter leur contribution. Apprendre à connaître nos futurs collègues français, ainsi que les pratiques de la fonction publique française et de la société française était attrayant et me semblait essentiel.
Qu’avez-vous appris à l’ENA et en quoi ce passage a-t-il infléchi votre trajectoire professionnelle ?
Trois éléments en particulier de mon parcours à l’ENA ont été déterminants pour moi. Tout d’abord, la familiarisation avec de nouvelles méthodes d'analyse des problèmes, ainsi que les techniques de présentation et de négociation qui diffèrent de la pratique allemande. Ensuite, l'étape à la Préfecture du Gard à Nîmes a été très précieuse pour comprendre la pratique administrative française. Ce que j'ai trouvé remarquable, c'était le contraste entre l'ambiance presque parisienne de la préfecture et la vie quotidienne en Provence. Enfin, la découverte de la gastronomie française, dont j’apprécie particulièrement la variété et le raffinement par rapport aux mets et boissons allemands. J'ai été impressionnée par la très bonne formation générale dans les domaines de la philosophie, de la littérature et de l'histoire de mes camarades de classe. Bien que rien de tout cela n'ait directement favorisé mon ascension professionnelle en Allemagne, ni au sein l'Union Européenne, le passage à l’ENA me permettait d'avoir un contact facile avec des collègues français, qui étaient bien souvent également d’anciens élèves de l'ENA.
Au vu de votre parcours dans la haute fonction publique ou dans la vie politique, pensez-vous que la contrainte réglementaire – par exemple les quotas- soit la meilleure manière d’obtenir la parité entre les femmes et les hommes ?
J'étais généralement la seule femme à participer à des réunions et à travailler avec d'autres ministères et organisations, en particulier au cours des premières années de ma carrière. Au début, quand j'étais nouvelle dans un cercle, je devais répéter mon premier message après un certain temps. Les collègues masculins n'avaient rien compris. Au contraire, ils s’émerveillaient qu’en tant que femme, je sois capable de formuler une phrase claire ! Mais une fois que j'étais connue, il n'y avait plus de problèmes. Je pense même que j´ai peut-être eu des avantages par rapport à mes jeunes collègues hommes. La situation a changé aujourd'hui dans l'administration publique et la politique allemandes. De manière générale, il y a beaucoup plus de femmes dans les postes de direction qu’auparavant. Cependant, l'égalité ne sera certainement atteinte que lorsqu'il y aura autant de femmes aux postes de direction qu'il y a d'hommes actuellement. Un système de quotas peut être utile ici.
Quelles mesures pour l’égalité entre les femmes et les hommes avez-vous personnellement mises en œuvre, soit dans votre management quotidien, soit dans la conception d’une politique publique ?
J'ai toujours très bien travaillé avec les femmes. À partir du moment où j'ai eu le pouvoir de prendre des décisions sur l'embauche et la promotion des femmes, j'ai appuyé les candidatures de celles qui en démontraient les aptitudes. Je me souviens d'une action en concurrence déloyale (spécifique au droit de la fonction publique allemand) intentée par un homme qui refusait d’accepter ma décision de confier à une femme la direction d'un bureau au Ministère de la Nature et de l'Environnement du Land de Schleswig-Holstein. Le procès a considérablement retardé le remplacement du poste, mais au final, le tribunal a confirmé ma décision. Au cours de mon travail dans le secteur de la société civile, j'ai contribué à accroître la représentation des femmes au sein des comités consultatifs. Depuis, la situation s'est beaucoup améliorée dans le service public en Allemagne, mais elle est encore loin d’être satisfaisante.
Qu’est-ce-qui, dans la formation des cadres de la fonction publique, permettrait, selon vous, d’approfondir la connaissance des projets européens et de créer cette culture partagée qui est nécessaire pour affronter les enjeux communs, notamment du développement durable et de la sécurité ?
De mon point de vue, deux choses sont nécessaires pour cela. D'une part, toute spécialisation et sectorisation des savoirs doit être complétée par l'enseignement de valeurs éthiques et l'engagement pour le bien commun. La capacité de sortir des sentiers battus de sa propre responsabilité et discipline doit être formée. Il devrait être possible de considérer les effets écologiques et sociaux de sa propre tâche et de ses propres actions sur la société dans son ensemble et sur le développement futur. Avant tout, il est important de comprendre que le développement pacifique et la préservation de la démocratie dans nos pays sont menacés par l'injustice, les inégalités économiques flagrantes et l'exclusion d’une partie de la population. D'autre part, la mobilité des agents de l'Etat doit être davantage favorisée qu'auparavant. L'apprentissage de langues étrangères et l'échange régulier d'employés entre l'Allemagne et la France, ainsi que le travail dans des institutions européennes seraient certainement utiles pour mieux faire face aux défis communs.
Entretien réalisé en Avril 2023
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