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Portrait M. Laurent Martel Promotion « Aristide Briand » 2006-2008

Portraits

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22/11/2022

Entretien avec Laurent Martel

Réalisé par Marie-Christine Armaignac, 

pour la

Commission Egalité Femmes-Hommes



Inspecteur des finances, directeur général du pôle Finances, Achats et Risques et membre du Directoire de RTE (Réseau de transport d’électricité)

Les femmes sont trop absentes, sans raison objective, de beaucoup de métiers techniques en croissance. C’est un problème pour les femmes et c’est un problème pour les employeurs souvent confrontés à des difficultés de recrutement. C’est dans les milieux professionnels très masculins que la misogynie ordinaire, parfois inconsciente, s’insinue le plus facilement. Il faut donc être offensif pour féminiser ces métiers, en valorisant les role models, en sensibilisant les étudiantes et en étant intransigeant sur les comportements déplacés lorsqu’il y en a.

Après sa sortie de l’ENA, Laurent Martel a occupé différentes fonctions au ministère de l’économie et des finances, à l’inspection générale des finances, à la direction de la législation fiscale, aux cabinets des ministres chargés de l’économie et du budget et à la direction générale des finances publiques. Il a ensuite été membre des cabinets du Président de la République et du Premier ministre, conseiller d’abord chargé de la fiscalité et des prélèvements obligatoires, puis des participations publiques dans les entreprises et, enfin, conseiller "économie, finances, industrie", chef du pôle économique du cabinet du Premier ministre. Il a désormais rejoint le secteur de l’énergie, à RTE, Réseau de Transport d’Electricité, en tant que membre du Directoire et Directeur Général du Pôle Finances Achats et Risques..


Qu’est-ce qui vous a incité à passer l’ENA ?

J’ai passé l’ENA parce que les questions de politique publique m’intéressaient beaucoup, avant même d’intégrer Sciences Po. Ces questions me paraissaient les plus complexes, les plus englobantes, les plus polémiques aussi, donc les plus stimulantes. La haute fonction publique me semblait, pourvu que j’y puisse accéder, l’un des meilleurs endroits pour s’atteler à ces questions.

J’ai beaucoup aimé les différentes fonctions qu’il m’a été donné d’occuper – c’est une variété que la haute fonction publique permet encore : l’expertise indépendante à l’inspection des finances, la production normative à la direction de la législation fiscale, l’administration des services et de la relation à l’usager à la direction générale des finances publiques, et le conseil aux décideurs politiques lorsque j’étais membre des cabinets de ministres, du Premier ministre ou du président de la République.

La recherche de diversité m’a conduit, après mon expérience en cabinet, à vouloir expérimenter un nouveau positionnement et un nouveau contexte professionnel en rejoignant une entreprise chargée d’une mission de service public, RTE, où je dirige les finances, les achats, et la maîtrise des risques.


Pourquoi avoir rejoint le secteur de l’énergie, après beaucoup d’années passées dans la fiscalité ?

Il faut savoir changer de sujet. Au bout d’un moment, l’expertise devient dangereusement confortable et peut rendre un peu conservateur. Alors pourquoi passer de la fiscalité à l’énergie ? Eh bien, j’y vois beaucoup de similitudes, figurez-vous. C’est un sujet à la fois très savant, par certains aspects, et très concret dans la vie quotidienne des gens, très technique mais aussi très politisé et controversé. Les questions énergétiques sont compliquées mais les gens vous en parlent dans la vie de tous les jours, comme pour la fiscalité. Et puis, c’est un sujet très systémique. Une bonne politique énergétique est essentielle à la prospérité. Bref, je vois beaucoup de points communs entre ces deux thèmes.

Le contexte actuel, d’urgence climatique, d’électrification accélérée de nos usages face à la nécessaire décarbonation de notre pays, d’investissement massif dans la prochaine génération de nos capacités de production énergétique, tout cela rend le secteur de l’énergie tout spécialement passionnant en ce moment. La crise d’approvisionnement de cet hiver donne une tonalité sombre au sujet, mais ce n’est, je l’espère, qu’un passage.


Quel regard portez-vous sur l’évolution de la haute fonction publique ?

D’abord, j’y ai passé dix années formidables et j’y reviendrai peut-être. C’est une première réponse. Les responsabilités, la variété, la fréquentation de gens remarquablement intelligents et dévoués, la haute fonction publique continue et continuera de l’offrir.

Je comprends la nécessité d’en démocratiser l’accès et de fluidifier les parcours en faisant en sorte qu’ils ne soient pas déterminés pendant toute la carrière par un classement de sortie. Je pense néanmoins qu’il faut prendre garde, dans les réformes en cours, à ne pas en abîmer l’attractivité. Ça fait longtemps que la haute fonction publique ne monopolise plus les meilleurs élèves mais elle en attire tout de même encore beaucoup et cela doit perdurer. Plus que la rémunération, la gestion des carrières, la reconnaissance des talents, la qualité du management, bref, la gestion des ressources humaines, doit progresser, a fortiori si les grands corps cessent d’être les accélérateurs de carrière qu’ils ont pu constituer dans le passé.

Quant à la formation initiale, l’Institut doit enseigner des contenus et on doit y apprendre des choses, au-delà des stages. Je plaide pour qu’on y enseigne des contenus plus spécifiques, plus concrets, plus pratiques, plus spécialisés en fonction des futures fonctions. L’enseignement de la légistique est l’un de ceux dont j’ai, avec le recul, tiré le plus parti.


Pouvez-vous nous en dire plus sur votre engagement, en entreprise, pour l’égalité homme femme ?

En premier lieu, à titre personnel, je crois en l’importance de la cause de l’égalité femme homme. Ceux qui disent que le féminisme a déjà atteint ses buts et qu’il est dépassé se trompent. Nous ne vivons plus dans les années 60, bien entendu, mais les chiffres sur les inégalités de salaire, la ségrégation par type de métier ou de rôles ménagers montrent que le féminisme est loin d’avoir gagné la partie. On parle de « gender fatigue » mais c’est un peu tôt pour être fatigué !

RTE s’est doté cette année d’un réseau « mixité », ouvert aux adhésions volontaires et menant diverses actions de sensibilisation pour promouvoir le rôle et la carrière des femmes. J’en suis devenu le parrain. Mon rôle consiste à soutenir le développement du réseau, l’aider à se structurer, à bâtir un plan d’action, à sélectionner et généraliser les actions les plus efficaces ou encore à relayer ses propositions les plus convaincantes auprès du directoire. C’est un réseau né assez tardivement par rapport à beaucoup d’autres entreprises, mais qui, du coup, fera l’économie des premières étapes habituelles pour ce genre de réseau (souvent initialement un réseau de solidarité entre femmes cadres) et traitera directement des sujets d’égalité et de mixité à tous niveaux.

RTE n’a pas attendu cette création pour être vigilant au sujet de l’égalité femme-homme : en témoignent un bon score à l’index de l’égalité professionnelle, un directoire majoritairement féminin, y compris pour la direction des métiers techniques industriels. Mais RTE doit progresser. C’est particulièrement vrai pour la féminisation de certains métiers encore presque exclusivement masculins. La maintenance tout particulièrement. L’ingénierie dans une moindre mesure. Les métiers numériques aussi.

C’est une problématique qui n’est pas propre à RTE et qui illustre un problème plus général de l’économie. Les femmes sont trop absentes, sans raison objective, de beaucoup de métiers techniques en croissance. C’est un problème pour les femmes, ainsi privées d’opportunités, et c’est un problème pour les employeurs, souvent confrontés à des difficultés de recrutement, comme cela commence à être le cas de RTE. En outre, c’est dans les milieux professionnels très masculins que la misogynie ordinaire, parfois inconsciente, s’insinue le plus facilement si l’on n’y prend garde. Il faut donc être offensif pour féminiser ces métiers, en valorisant les role models, en sensibilisant les étudiantes, en s’imposant une féminisation des panels de candidats et en étant intransigeant sur les comportements déplacés lorsqu’il y en a.


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