Entretien avec Mme Vassiliki Kolyva
Réalisé par Mme Marie-Christine Armaignac pour la mission Egalité Femmes-Hommes de la Confédération internationale des anciens de l'ENA et de l'INSP
Idée force : La gouvernance inclusive est indispensable pour faire progresser les valeurs démocratiques.
Sa carrière s’est déroulée dans plusieurs secteurs de l’administration, ainsi qu’auprès du Parlement hellénique. Elle a été notamment chargée de la conception et de la mise en œuvre des politiques publiques pour l’éducation, l’emploi, la formation, la transformation numérique, la gestion de programmes des fonds structurels,. Elle est actuellement très investie à l’Autorité Nationale pour l’Accessibilité auprès du Premier Ministre. |
A quel moment de votre parcours professionnel avez-vous eu l’idée de faire cette scolarité à l’étranger, et pourquoi à l’ENA ?
Etant francophone, sortie d’un lycée franco-hellénique et ayant fait un DEA à la Sorbonne, j’étais attirée par l’idée de faire l’ENA, une marque prestigieuse de la France.
Après six ans dans la fonction publique hellénique, au Ministère de l’Education Nationale, j’ai décidé de suivre la scolarité de l’ENA afin d’enrichir mes connaissances et mon expérience professionnelle, pour pouvoir ensuite évoluer dans différents postes et secteurs, une décision que je ne regrette pas. L’ENA m’a en effet permis d’approcher la réalité de l’administration française, réputée pour sa qualité, classée au premier rang par l’OCDE, et de rencontrer des hauts fonctionnaires français ainsi que des homologues d’autres pays.
Qu’avez-vous appris à l’ENA INSP et en quoi ce passage a-t-il infléchi votre trajectoire professionnelle ? Est- ce que vous recommandez ce passage par l’INSP à des jeunes de votre entourage ?
L’ENA m’a permis de comprendre la réalité administrative à ses différents niveaux de prise de décision, en me donnant le goût de l’initiative et de l’innovation. Elle a beaucoup contribué à la construction de mon identité professionnelle. Parmi mes expériences marquantes, c’est mon stage des trois mois à la Préfecture du Lot, à Cahors, une ville d'art et d'histoire, qui m’a permis de découvrir les réalités du terrain. Le stage était très instructif. Mes missions étaient concrètes et, grâce à elles, j’ai découvert les enjeux des politiques publiques au plus près de la vie locale, et mieux appréhendé ce que représente l’Etat dans le territoire. Très formatrice sur le plan des méthodes de travail, cette expérience m’a offert des outils qui m’ont aidée à évoluer sur divers postes et à développer des compétences nécessaires pour les missions qui m’ont été confiées dans la fonction publique grecque, en particulier dans la conduite de projets. En termes de formation, les cours et les séminaires thématiques m’ont offert un corpus de connaissances théoriques et opérationnelles dans des matières variées, très utiles pour mes fonctions, surtout pour l’évaluation des politiques publiques.
Pour moi, l’ENA fut donc un transfert d’expertise et des savoirs pour la bonne gestion publique et la conduite du changement, un apprentissage durable soutenu par le réseau des anciens élèves. Evidemment, je recommande aux jeunes collègues de suivre la formation offerte par INSP.
Au vu de votre parcours dans la haute fonction publique ou dans la vie politique, pensez-vous que la contrainte réglementaire – par exemple les quotas- soit la meilleure manière d’obtenir la parité entre les femmes et les hommes ?
En Grèce, l’accès des femmes aux postes de responsabilité dans la fonction publique est satisfaisant. En revanche, il faut briser le « plafond de verre » dans les structures hiérarchiques des institutions universitaires, des centres scientifiques, où malgré la présence féminine, souvent majoritaire, parmi les professeurs ou à la tête des laboratoires scientifiques, les femmes n’atteignent pas les positions les plus prestigieuses.
Il existe encore des barrières invisibles et des entraves à la progression des femmes dans les sphères d’influence, et la législation impose le recours aux quotas pour favoriser l’accès des femmes à des postes de pouvoir notamment dans la sphère politique (mandats électoraux) et dans les domaines économiques et sociaux. La mise en place des quotas- comme outil- dans les entreprises et dans la politique contribue donc à corriger la sous- représentation des femmes aux postes importants, et elle a des effets positifs, plutôt symboliques mais potentiellement forts.
Les quotas ne sont pourtant pas la panacée : l’augmentation mécanique de la proportion des femmes ne suffit pas. Il faut mettre en lumière l’articulation du genre avec d’autres inégalités qui traversent la société, et qui tiennent à de multiples facteurs. Il faut s’intéresser à d’autres aspects des inégalités comme l’organisation du travail, la conciliation travail/famille, par exemple
En tout état de cause, il ne faut pas que l’administration valorise une approche statistique au détriment des compétences, qui doivent se placer avant toute autre considération. La parité numérique ne peut pas remplacer la méritocratie !
Quelles mesures pour l’égalité entre les femmes et les hommes avez-vous personnellement mises en œuvre, soit dans votre management quotidien, soit dans la conception d’une politique publique ?
J’ai favorisé, en respectant toujours le cadre réglementaire, des pratiques pour un meilleur pilotage des équipes, axé sur la qualité de l’organisation du travail, la flexibilité, la gestion équilibrée des temps, avec une attention portée à la conciliation vie professionnelle/vie personnelle, la variété des tâches, la reconnaissance du travail, et en proposant des cours de formation professionnelle pour développer des compétences, notamment dans le domaine des nouvelles technologies.
J’ai participé également à la conception du projet de création du Centre d’Innovation pour les Femmes, pour la mise en œuvre d’une synergie des politiques publiques concernant la parité et la mixité, ainsi que des initiatives et des projets pour assurer et renforcer l’accès des filles et des femmes dans l’éducation aux disciplines scientifiques et technologiques.
Qu’est-ce-qui, dans la formation des cadres de la fonction publique, permettrait, selon vous, d’approfondir la connaissance de la vie internationale, et notamment des projets européens, pour créer cette culture partagée qui est nécessaire pour affronter les enjeux communs, notamment du développement durable et de la sécurité ?
Il est clair qu’au vu de la diversité des enjeux que doit affronter la puissance publique, la formation dispensée doit être susceptible de s’adapter aux conditions du moment.
Dans cette perspective, il faut diversifier encore plus les profils des élèves, élargir le recrutement dans des domaines comme la biologie, la santé, l’agriculture, les infrastructures, l’énergie, et proposer des formations axées aux compétences nécessaires pour concevoir, mettre en œuvre, évaluer les politiques publiques, piloter la transformation de l’action publique dans plusieurs secteurs, prévenir et affronter les crises, faire attention aux impacts écologiques et sociaux.
L’INSP doit être un type de « Learning Machine» de niveau international, assurant un apprentissage durable, innovant, en synergie avec l’environnement académique et scientifique, pour développer des projets communs en coopération avec des institutions d’autres pays et les instances européennes, aussi bien que le réseau des associations des anciens élèves.
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