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Portrait de Julien Carmona, Promotion Marc Bloch, ancien Inspecteur des finances, Directeur général délégué de Nexity

Portraits

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07/04/2021

Entretien avec Julien Carmona

Réalisé par Marie-Christine Armaignac, pour la Commission Egalité Femmes-Hommes AAEENA 

15/03/2021

Après sa sortie de l’ENA, Julien Carmona a mené une première carrière à l’Inspection générale des finances, puis comme conseiller économique d’un Président de la République (Jacques Chirac). Il a poursuivi sa carrière dans la banque, l’assurance, et aujourd’hui dans les services immobiliers.

∞∞∞∞∞

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à passer l’ENA ? Aviez-vous une idée de votre trajectoire professionnelle ? Avez-vous bénéficié de conseils ? 

J’ai passé l’ENA parce que j’avais un intérêt passionné pour la chose publique et pour les différentes matières que l’école enseigne aux élèves fonctionnaires : économie, droit public, questions sociales, organisation des institutions …Cet intérêt est toujours aussi vif aujourd’hui.

Je n’avais pas d’idée précise de ma trajectoire professionnelle, mais il va de soi qu’une carrière de haut fonctionnaire était mon but naturel. Je ne me souviens pas d’avoir bénéficié de conseils. Ce qui est certain, c’est que j’ai été très heureux à l’ENA : stages intéressants et formateurs, enseignements de grande qualité, heureuses rencontres dont certaines ont été à l’origine d’amitiés durables.

Le paradoxe, mais je ne vais pas m’en plaindre, est que c’est ma scolarité à l’ENA qui m’a, par le biais d’un stage, ouvert les yeux sur l’intérêt de la vie en entreprise - monde auquel j’étais totalement étranger - et qui m’a aussi donné le goût et le sens des chiffres et de la finance - auxquels ma formation purement littéraire ne m’avaient pas prédisposé.

Quelques années plus tard, je suis parti en entreprise, et j’y suis resté. Je trouve intéressant et agréable d’avoir plusieurs vies successives.

Après un beau début de carrière dans la haute fonction publique, vous avez, avec succès, relevé le défi entrepreneurial, mais vous gardez un attachement à la sphère publique. Comme observateur engagé, comment voyez-vous l’évolution de l’administration, et, plus généralement, celle du service public ?

A l’évidence, je garde un fort attachement à la sphère publique, comme c’est, j’imagine, le cas de la grande majorité des anciens élèves partis en entreprise. Par ailleurs, la performance d’un pays, d’un système économique, est largement dépendante de la performance de ses administrations publiques. Il n’est pas d’entreprises durablement prospères sans Etat efficace, ni sans cohésion sociale et nationale. 

De plus, un certain nombre de tendances récentes estompent la frontière entre intérêt public et intérêt privé : responsabilité sociale des entreprises, raison d’être, essor des modèles mutualistes, coopératifs ou d’économie sociale et solidaire. On peut dire que les frontières du bien public s’étendent progressivement ; on peut dire aussi que les conflits entre objectifs multiples et contradictoires qui caractérisent l’Etat, sont aussi désormais le lot des entreprises (par exemple conflit entre rentabilité et performance environnementale).

L’administration française est un monde en soi, qui change, qui innove, et qui compte un très grand nombre de collaborateurs engagés et utiles, et un grand nombre de chefs dignes de respect. S’il s’agit d’être critique, je dirais qu’à côté de grandes qualités, l’administration souffre de trois défauts majeurs : 

  • Une gestion des carrières et des talents bien trop cloisonnée, peu efficace, peu attentive à l’humain, et qui aboutit à beaucoup de gâchis. C’est probablement dans ce domaine (la gestion des ressources humaines) que les entreprises ont le plus fort avantage comparatif ; 
  • Parfois un manque de responsabilité de la part des chefs, ce qui renvoie à de multiples facteurs : confusion entre politique et administration, dilution des responsabilités, voire manque de moyens donnés aux chefs pour déterminer et mettre un œuvre un plan d’action ;
  • Et enfin une complexité qui est devenue effroyable (en prenant en considération non seulement les administrations de l’Etat, mais les agences, les collectivités territoriales et leurs émanations, les AAI …), qui aboutit trop souvent à une paralysie et en tout cas à une déperdition d’efficacité.

 Avec cinq autres patrons de grandes entreprises, vous avez récemment appelé de vos vœux une loi étendant la contrainte de mixité des conseils d’administration créée il y a dix ans par la loi Copé-Zimmermann.

Oui, grâce à cette loi, la France est devenue le pays qui a les conseils d’administrations les plus mixtes du monde (46% de femmes). Mais les progrès ont été moindres pour la mixité des équipes dirigeantes, avec des résultats très hétérogènes, même s’il existe des exceptions, dont ma société, Nexity, où dès aujourd’hui, sans loi ni injonction extérieure, mais grâce à la volonté de son président directeur général, Alain Dinin, le comité exécutif, qui est l’instance la plus haute de l’entreprise, compte 45% de femmes.

Collectivement, nous avons échoué avec la méthode consistant à encourager sans contraindre. Fixer des objectifs est donc nécessaire et, je l’espère, seulement temporaire. L’objectif de 40% minimum d’un genre parmi les cadres de direction, à un horizon à définir par paliers, est ce que nous préconisons, avec d’autres dirigeants.

Pouvez- vous nous en dire plus sur votre engagement dans le but de parvenir à l’égalité entre les femmes et les hommes ?

L’égalité entre les femmes et les hommes ne se réduit pas à la représentation des femmes dans les instances dirigeantes des entreprises. Le sujet a bien d’autres dimensions. Et la question de la mixité n’est qu’une des facettes de la question de l’inclusion et de la non-discrimination, qui concerne aussi bien l’âge, l’origine sociale, le niveau d’études, l’orientation sexuelle...

Mais pour parler de ce sujet précis, je dirais que la justice et l’efficacité se rejoignent. Non seulement, il est assez insupportable de penser que des jeunes femmes, en début de carrière, aussi nombreuses et aussi talentueuses que leurs collègues masculins, ont aujourd’hui, objectivement et statistiquement, moins de chances d’accéder à des postes à responsabilité. Et d’autre part, il est démontré que des équipes de direction mixtes sont en moyenne plus performantes que des équipes composées de représentants d’un seul genre.

A dire vrai, je n’ai pas toujours été sensible à cette question. L’égalité entre les hommes et les femmes, j’y étais naturellement favorable, mais je m’en remettais à l’égalité des chances, et je ne voyais pas les cas de discrimination – parfois insidieux, mais parfois aussi tout à fait criants – que j’avais sous les yeux. Plusieurs conversations avec des femmes m’ont ouvert les yeux. Et je voudrais citer parmi elles ma sœur, Pauline Carmona, également ancienne élève de l’ENA, qui tout en menant une belle carrière de diplomate, a défendu avec courage la cause des femmes dans la haute fonction publique. 

Je pense que la prise de conscience est là, et que l’action va suivre, relayée par des ministres comme Bruno Le Maire ou Elisabeth Moreno. On ne peut que s’en réjouir !

 


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