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Entretien avec Béatrice Gille pour la commission Femmes

Portraits

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13/10/2017

Béatrice Gille est rectrice de l’académie de Créteil (deuxième plus grande académie de France après Versailles) depuis mai 2014.

Agrégée de grammaire et diplômée d’un DEA de linguistique, elle débute sa carrière comme professeur agrégée de lettres classiques de 1979 à 1987. Puis elle entre à l’ENA dans la promotion 1989 "Liberté Egalité Fraternité".

Béatrice Gille a été conseillère à la chambre régionale des comptes de La Réunion de 1989 à 1993 avant de devenir secrétaire générale de l’académie de Toulouse de 1993 à 1997.

Directrice d’administration centrale de 1997 à 2003, elle est en charge des personnels administratifs, techniques et d’encadrement au ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

En 2003, Béatrice Gille devient inspectrice générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et, en septembre 2012, elle est nommée rectrice de l'académie de Nancy-Metz.

Elle est officier de la Légion d’honneur, commandeur de l’Ordre du Mérite et commandeur des palmes académiques.

Professeur, agrégée de grammaire avant d’intégrer l’Ena, donc lauréate du concours interne, vous étiez déjà une professionnelle confirmée avant de devenir élève d’une grande école. Comment avez-vous vécu cette période ?

En effet, j’ai exercé mon métier d’enseignante de lettres classiques pendant 7 ans avant d’être reçue en PREPENA puis d’intégrer l’Ena, et j’y ai trouvé de très grandes richesses et de très grandes satisfactions professionnelles. A l’entrée à l’ENA, j’étais aussi une jeune mère de trois enfants de 6, 4 et 2 ans. Bien que la direction de l'ENA m'ait permis d'effectuer mes stages à proximité de mon lieu de résidence familiale, je ne pouvais être totalement centrée sur ma scolarité ENA, scolarité qui s’est par ailleurs très bien déroulée et terminée, comme peut le faire un.e célibataire.

Vous avez choisi la chambre régionale des comptes de La Réunion comme poste de sortie. Quelles étaient vos motivations ?

J’ai été guidée par le souhait d’exercer des missions au plus près des acteurs de terrain. A la chambre régionale des comptes de La Réunion, il m’était offert d’apprendre un nouveau métier, celui de magistrat financier, qui m’a d’ailleurs beaucoup servi tout au long de ma carrière. Ceci dans un territoire d’Outre-Mer marqué par des problématiques complexes et dans le contexte encore nouveau de déploiement de la décentralisation. Passionnant ! J’ai occupé ce poste pendant cinq ans sans en épuiser tous les sujets.

Par ailleurs, jusqu’alors, je n’avais jamais quitté Paris intramuros, le dépaysement était donc garanti. C’est aussi cela, le grand privilège de l’ENA : pouvoir réinventer son parcours professionnel dans des domaines éloignés de sa formation d’origine, avec le défi de valoriser les acquis d’une expérience passée. Une forme de rebasage en somme, avec ses avantages et ses inconvénients, ses risques et assurément ses opportunités.

Mais vous regagnez l’éducation nationale ensuite. Est-ce une forme de retour à vos origines professionnelles ?

Non, pas vraiment.

Je voulais effectuer ma mobilité en services déconcentrés, afin de rester en prise avec des politiques très opérationnelles, conformément aux objectifs qui étaient les miens dès le départ. J’ai donc, tout à fait logiquement, regardé les offres au sein du corps préfectoral. Mais le rythme des changements de poste me paraissait difficilement compatible avec ma vie familiale. Chacun et chacune doit savoir quel est son propre niveau d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. C’est à l’aune de cette mesure que l’on sait si nos choix sont soutenables.

J’ai donc examiné d’autres possibilités. Il se trouve que le ministère de l’éducation nationale m’offrait de résoudre cette équation personnelle, en devenant secrétaire générale de l’académie de Toulouse.

De nouveau, j’avais tout à apprendre et surtout à gérer la taille et la complexité. J’ai exercé ce métier exigeant pendant quatre années.

Finalement, en 1997, vous intégrez l’administration centrale, comme directrice de personnels, puis en 2003, l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale, avant d’être nommée rectrice de l’académie de Nancy-Metz en 2012. Votre parcours est caractérisé par des séquences relativement longues comparé à d’autres exemples ?

Je considère qu’un métier s’apprend et doit être maîtrisé si l’on veut y apporter une valeur ajoutée. J’ai eu beaucoup de chance dans tous les épisodes de ma vie professionnelle. J’ai pu rester cohérente dans mes choix et mes objectifs et dans la façon dont je conçois l’exercice de la responsabilité.

Le métier d’inspectrice générale, -c’était un retour à des fonctions d’évaluation et de contrôle - m’a beaucoup appris. L’alternance entre des fonctions d’inspection et d’évaluation, des prises de responsabilité au niveau national, mais aussi en administration déconcentrée, est d’une grande richesse.

Puis j’ai été heureuse de revenir à des responsabilités de terrain, comme rectrice d’académie. Cette fonction, que j’exerce depuis 2012, me passionne.

Pas de passage en cabinet ?

C’est vrai, je n’ai pas vécu d’expérience en cabinet ministériel jusqu’à maintenant. Cela ne s’est pas présenté.

En tant que rectrice de l’académie de Créteil, vous conduisez des travaux de recherche sur les écarts de réussite scolaire entre les filles et les garçons. Vous présidez également au déploiement des politiques éducatives sur des territoires emblématiques comme la Seine-Saint-Denis. Quel message portez-vous ?

Nous travaillons dans l’académie sur la performance de notre système scolaire, nous examinons les taux d’accès, de réussite, les indicateurs d’équité scolaire et l’insertion professionnelle des élèves et des étudiants. Dans ce cadre, à titre d’exemple, je souhaite expliciter avec l’aide des chercheurs, les facteurs qui influencent les écarts de réussite scolaire entre les filles et les garçons. On observe, dans l’académie de Créteil, un écart significatif entre les taux de réussite des garçons et ceux des filles, en défaveur des garçons. Cet écart, repérable dès l’entrée en sixième, se poursuit tout au long du cycle secondaire : il est de 10 points au diplôme national du brevet et se creuse encore dans certaines filières du baccalauréat.

Les filles réussissent mieux, peut-être parce qu’elles sont plus adaptables, mais aussi parce que l’école constitue pour elles une voie d’émancipation.

Quant à la Seine-Saint-Denis, l’engagement de l’éducation nationale, et en premier lieu celui des enseignants, y est puissant. Tous ont envie que leurs élèves réussissent et de fait, il y a beaucoup de belles réussites dont il faut parler. On ne le dit pas assez, l’ambition scolaire, l’appétit pour l’Ecole, l’attente des familles y sont particuliers et souvent forts. L’espérance pour un jeune d’accéder au baccalauréat y est parmi la plus élevée de France. Cela peut paraître contre-intuitif mais c’est une réalité insuffisamment connue et relayée. Dans l’académie de Créteil, poursuivre ses études est une évidence.

En cela, je suis optimiste. Lucide, vigilante, engagée, mais résolument optimiste. L’académie de Créteil se caractérise en effet par une forte capacité à mobiliser ses forces vives, à faire preuve de réactivité. Son goût de l’expérimentation et de l’innovation pédagogiques trouve son expression dans les liens que l’académie entretient avec les chercheurs et les universitaires. L’académie de Créteil, bien souvent perçue comme un observatoire par les médias, est à la fois emblématique et sensible. Elle a tous les atouts nécessaires pour porter avec ambition, sa jeunesse vers l’avenir.

En tant que rectrice, vous avez autorité sur 77 000 personnels chargés d’encadrer près d’un million d’élèves et de les conduire dans un monde en mutation. Quels sont, selon vous et à grands traits, les défis que la fonction publique doit relever pour s’adapter aux enjeux sociétaux d’aujourd’hui et de demain ?

C’est presque un lieu commun de dire que nous vivons dans un monde en transition, mais une transition qui semble durer ou qui a du mal à déboucher sur un nouveau modèle. Nous vivons désormais dans une société plus fluide dans laquelle les individus ont des appartenances multiples, revendiquées ou non, choisies ou subies, et peuvent avoir des parcours complexes.

Dans ce contexte, la fonction publique est confrontée à des injonctions paradoxales pour répondre à ces enjeux :

  • une demande des personnels de maintien des cadres statutaires vs plus de souplesse et d’efficacité en matière de gestion des ressources humaines ;
  • une demande sociale d’un cadrage fort de l’Etat vs davantage de libertés individuelles et d’autonomie.

Concernant les attentes des personnels, on ne peut plus s’exonérer d’une réflexion sur la question des parcours et de leur diversité ainsi que sur les différents modes managériaux, qui conditionnent le maintien de l’attractivité de la fonction publique. C’est un sujet qui se situe au cœur des enjeux RH de l’académie de Créteil, une académie de formation pour 15 000 nouveaux agents chaque année. Cela interroge nos pratiques, nous oblige à innover. Cela nécessite une gestion stratégique des ressources humaines au plus près des besoins, qui repère les ambitions, valorise les aptitudes pour favoriser au mieux les évolutions de carrière.

Au fond, l’éducation nationale concentre les grands défis de notre société. En cela, les carrières y sont riches, variées et passionnantes. Cela vaut évidemment pour les sortant·es de l’Ena auxquel·les nous offrons des postes en académie. J'ai moi-même offert un poste dans l'académie de Créteil en janvier 2017 et eu le plaisir de le voir retenu par un jeune camarade !

 

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