Entretien avec Mme Lisa Marlene Ntibayindusha - Promotion Louis Pasteur. 2018
Entretien avec Marie-Christine Armaignac
Pour la mission Egalité Femmes-Hommes
Confédération internationale des anciens de l’ENA et de l’INSP
Mme Lisa Marlene Ntibayindusha Promotion Louis Pasteur. 2018 « Quand une porte se ferme, une autre finira par s’ouvrir » |
Après sept ans de carrière au Québec, elle a rejoint l’ENA en 2018, puis la Délégation générale du Québec à Paris de 2018 à 2022. |
Elle est aujourd’hui directrice au Secrétariat à la réforme des institutions démocratiques, à l’accès à l’information et à la laïcité, au Québec.
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A quel moment de votre parcours professionnel avez-vous eu l’idée de faire cette scolarité à l’étranger, et pourquoi à l’ENA ?
Cela faisait presque dix ans que je travaillais au sein de l’administration publique québécoise, lorsqu’avec mon patron de l’époque, lui-même énarque, nous avons évoqué la formation à l’ENA. Sa confiance en moi m’a poussée à tenter l’aventure, car je souhaitais élargir mes horizons, acquérir une expérience internationale différente et pratique. Par ailleurs, parce que viser haut ne peut qu’être une bonne idée et que j’aspire un jour à occuper de plus hautes fonctions dans l’administration, l’ENA me semblait un tremplin très prometteur.
Qu’avez-vous appris à l’ENA-INSP et en quoi ce passage a-t-il infléchi votre trajectoire professionnelle ? Est- ce que vous recommandez ce passage par l’INSP à des jeunes de votre entourage ?
J’ai acquis beaucoup à l’ENA. Des compétences variées et polyvalentes, un élargissement de mes horizons professionnels. J’y ai aussi rencontré beaucoup d’autres personnes qui, comme moi, ont le service public « tatoué sur le cœur ».
Je crois pouvoir affirmer que mon passage à l’ENA m’a préparée à occuper les fonctions de conseillère aux affaires politiques et à la coopération au sein de la Délégation générale du Québec à Paris de 2018 à 2022.
Il m’a également donné plus d’assurance en mes capacités et compétences, assurance qui me permet d’occuper le poste que j’occupe aujourd’hui. Avant l’ENA, et comme femme, noire, je n’aurais probablement jamais osé poser ma candidature sur un poste de direction nouvellement créé au sein du Secrétariat à la réforme des institutions démocratiques, à l’accès à l’information et à la laïcité. Mais l’ENA m’a appris à oser, à viser haut, et aujourd’hui, je suis ravie de travailler, avec mon équipe, comme directrice de la laïcité et pour la promotion du modèle québécois tel que défini par la Loi sur la laïcité de l’État.
L’ENA, c’est aussi l’occasion de tisser des liens avec des personnes influentes et d’autres professionnels du secteur public venant d’un peu partout dans le monde. Cela permet de créer un précieux réseau pour la carrière, mais aussi de fortes amitiés. C’est pourquoi je n’hésite pas à recommander le passage à l’INSP aux jeunes de mon entourage, en leur rappelant de profiter de chaque étape de la formation, que ce soit à Strasbourg ou durant les stages.
Dans votre parcours professionnel, quels ont été les leviers ou, à l’inverse, les freins qui vous ont permis, ou pas, d’accéder aux postes de responsabilité ? Pensez-vous que la contrainte réglementaire – par exemple les quotas- soit la meilleure manière d’obtenir la parité entre les femmes et les hommes ?
C’est grâce aux quotas que je suis entrée dans la fonction publique au Québec. Dans mon cas, bien qu’il existe un programme pour les femmes, dont l’objectif est d’augmenter le nombre de femmes dans les emplois majoritairement occupés par des hommes, j’ai été engagée spécifiquement grâce au programme dédié aux membres des minorités visibles et ethniques.
J’ai eu la chance de croiser, à différents moments dans mon parcours, qui reste relativement jeune, des personnes qui croient en moi ainsi qu’en mon profil de compétences. J’évolue tranquillement, mais j’ai par le passé remarqué que cette évolution n’a pas été au même rythme ni suivi les mêmes étapes que celles de bien d’autres femmes de mon entourage. À certaines occasions, j’ai eu le sentiment que le fait que je sois une femme noire a entravé ma progression, notamment salariale. Je ne me suis toutefois pas arrêtée à cela, car bien plus de choses me définissent que le fait d’être noire. Je crois en mes compétences, j’ai la volonté et surtout le désir d’excellence et je considère que lorsqu’une porte se ferme, une autre finira par s'ouvrir.Il s’agit de faire preuve de patience et de persévérance.
Bien que je sois convaincue que les quotas sont encore nécessaires, je pense aussi qu’ils doivent être mieux définis afin qu’ils atteignent les objectifs pour toutes les femmes. On parle souvent du « plafond de verre » que doivent briser les femmes, mais la littérature parle de plus en plus du « plafond de béton » pour les femmes noires, « plafond de béton » qui, par définition, est bien plus difficile à briser que le « plafond de verre ». Il faut donc continuer à réfléchir à des solutions innovantes, de nouvelles normes porteuses de changement afin que chaque individu puisse contribuer à la hauteur de ses compétences réelles.
La question de la conciliation de la vie professionnelle et familiale a-t-elle connu des évolutions favorables dans votre univers professionnel ? Le « présentéisme » y est-il la norme, et le télétravail a-t-il simplifié ou compliqué la gestion des temps ?
Au sein de la fonction publique québécoise, nous bénéficions de différentes mesures qui visent à favoriser l’équilibre entre nos vies professionnelles et personnelles. Ces mesures, prévues dans nos conditions de travail, s’appliquent de façon différente selon le statut ainsi que la catégorie d’emploi. Il s’agit notamment d’horaires de travail adaptés, de congés parentaux ou encore de congés sans traitement. Par exemple, les congés sans traitement peuvent être un congé d’une période maximale d’une année après sept ans d’ancienneté, un congé pour études ou encore un congé à traitement différé. Ce dernier type de congé prévoit par exemple que sur une période de cinq ans, une personne, travaillant à temps complet, pourrait recevoir une rémunération de 80 % de son salaire durant quatre ans, et bénéficier la cinquième année d’un congé durant lequel elle continuerait à percevoir 80 % de son salaire.
Dans mon univers professionnel, le télétravail contribue à un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle, sans pour autant entamer notre engagement, ni affecter nos résultats.
Votre carrière a-t-elle été épaulée par la présence d’un tiers ? Quels ont été vos « alliés » ? Avez- vous participé ou recouru à des réseaux féminins ?
Oui, j’ai d’abord ma famille qui croit en moi, qui est présente à chaque étape de mon parcours, que ce soit heureux ou non. Ma carrière n’a toutefois pas bénéficié jusqu’à présent de l’apport d’alliés. J’ai cependant eu la chance de pouvoir compter sur des gestionnaires qui m’ont beaucoup appris, qui m’ont poussée à devenir meilleure et à croire en moi. Ce sont toutefois beaucoup plus des hommes que des femmes, mais sur mon parcours j’ai rencontré des femmes exceptionnellement brillantes qui m’ont donné beaucoup.
Au demeurant, j’ai rencontré des femmes qui essayaient ouvertement et injustement de me discréditer. Grâce à elles, j’ai appris à mieux lire mon environnement. Cela aurait très bien pu être des hommes, d’ailleurs, et croyez bien que je ne suis pas en train de céder au fameux cliché qui veut que les femmes soient toutes des rivales, car je suis convaincue que les femmes sont autant, sinon plus, enclines que les hommes à s’entraider. Mais ces expériences m’ont aussi montré quels types de comportements je ne souhaite pas adopter face aux autres et je m'y efforce à ce jour.
Avez- vous été confrontée à des propos ou agissements sexistes ? A des stéréotypes de genre ?
Oui, absolument. Je pense aux plus simples agissements qui sont de couper la parole lorsqu’une femme parle ou de croire qu’elle est là pour servir le café. Ce n’est pas un mythe, malheureusement, cela arrive beaucoup plus souvent qu’on ne le croit.
Sur la question des stéréotypes, en pleine réunion, alors que nous étions une dizaine de personnes autour de la table, un homme a tenu des propos désobligeants sur une femme, absente de la réunion. Après un silence de quelques secondes, la réunion a repris comme si de rien n’était. Je n’avais alors pas encore assez d'expérience, mais avec le recul, j’estime que ce n’était pas un comportement acceptable et si cela se reproduisait, je réagirais.
Savez-vous comment se situe votre univers professionnel en termes d’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes ?
Je suis très loin de maitriser la question, mais le Québec a mis en place des outils qui vont plus loin que l’égalité des rémunérations, afin, notamment, de reconnaître à sa juste valeur le travail féminin. En 1996, le Québec a adopté la Loi sur l’équité salariale qui vise à corriger les écarts salariaux causés par la discrimination fondée sur le sexe. Cette loi oblige les employeurs de 10 employés ou plus à assurer l’équité salariale entre les emplois à prédominance féminine et les emplois à prédominance masculine équivalents. Cela veut dire concrètement que l’équité salariale permet d’accorder à des emplois dits féminins un salaire égal à celui des emplois dits masculins de valeur équivalente dans une même organisation, même si ces emplois sont différents. Même si ce n’est pas encore parfait, le Québec va plus loin que la simple égalité théorique.
Quelles mesures pour l’égalité entre les femmes et les hommes avez-vous personnellement mises en œuvre, soit dans votre management quotidien, soit dans la conception d’une politique publique ?
Cela fait un peu plus d’un an que j’occupe officiellement un poste de gestion et j’ai eu l’occasion de conduire différents processus de sélection visant à pourvoir des postes dans mon équipe. À chaque fois, dans le but notamment d'éviter toute discrimination de genre, cela a été fait en prenant appui sur des processus de recrutement et de promotion transparents et équitables qui sont basés sur les compétences. De plus, dans la gestion quotidienne, je fais preuve de flexibilité, en accord avec les politiques et pratiques en cours, au sein du gouvernement du Québec, ce qui bénéficie à toute l’équipe. Il faut être en mesure de favoriser l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle,
J’espère que dans les prochaines années je serai en mesure de mettre l’accent sur la sensibilisation et la diversité, afin de prévenir les biais inconscients et favoriser l'égalité des genres, par-delà les stéréotypes. Beaucoup de choses ont été faites, mais il reste encore beaucoup à faire pour garantir effectivement un environnement de travail équitable, l'égalité des opportunités, et participer ainsi à la construction d'une société plus inclusive et égalitaire.
Croyez-vous qu’il existe un « leadership féminin » ou des pratiques managériales propres aux femmes ?
Je crois qu’il existe des caractéristiques souvent associées au leadership féminin. Cependant, cela ne veut pas dire que celles-ci sont exclusivement féminines. Selon moi, les pratiques managériales s’acquièrent et les leaders de tous genres peuvent les développer. Il est toutefois vrai que le travail d’équipe et la collaboration, l’empathie, l’écoute, l’intelligence émotionnelle ou encore la prudence dans la prise de risques sont souvent associés aux femmes. Peu importe notre genre, il est à mon avis plus que fondamental de reconnaitre la diversité des styles de leadership, car elle est enrichissante tant pour les équipes que les organisations, en ce qu’elle apporte des perspectives variées, mais aussi complémentaires.
Entretien réalisé en mars 2024 par Marie Christine Armaignac
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