Entretien avec Mme Agathe Florence LELE - Promotion Gandhara CIC 2001
Le Prix international des femmes de l’ENA et de l’INSP de 2025 salue le parcours national et international, plein de détermination et d’inspiration, d’une camarade camerounaise.
Issue de la première promotion de Commissaires de Police ouverte aux femmes (Juillet 1982) au Cameroun, Agathe Florence LELE est Commissaire Divisionnaire à la retraite.
Première femme à accéder au rang de Directeur d’administration centrale au sein de la police camerounaise, elle a été successivement à la tête de la direction des Renseignements généraux, de la Police des frontières et de la Formation.
Après sa scolarité à l'ENA (promotion Gandhara, CIC 2001), elle a obtenu un Master en Administration publique (2005).
Sa carrière est émaillée d’expériences internationales à forts enjeux : déléguée au sein du Comité Exécutif de l’Organisation Internationale de la Police Criminelle OPIC-Interpol (2003), chef d’une composante police dans une mission de maintien de la paix de l’ONU (Burundi 2007), consultante pour le projet Femme, Paix et sécurité en Afrique centrale de l’Agence Française de Développement et du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français.
Elle a reçu plusieurs distinctions honorifiques : Médaille de la Vaillance, Médaille de la Force Publique, Commandeur de l’ordre du Mérite camerounais, Officier de l’ordre du Mérite français, Distinction d’argent du Secrétariat Général d’Interpol, Médaille d’argent du Secrétariat Général des Nations Unies.
A quel moment de votre parcours professionnel avez-vous eu l’idée de faire cette scolarité à l’étranger, et pourquoi à l’ENA ?
Ce sont des collègues de la Faculté de droit qui m’en ont parlé en 1998. L'idée d'étudier dans cette école en France était une opportunité à ne pas manquer ! Un collègue et moi avons donc présenté le concours et avons été admis au cycle international court en 2001.
Qu’avez-vous appris à l’ENA INSP et en quoi ce passage a-t-il infléchi votre trajectoire professionnelle ? Est- ce que vous recommandez ce passage par l’INSP à des jeunes de votre entourage ?
Cette expérience très enrichissante et fructueuse a été déterminante pour ma carrière, notamment grâce au stage qui m’a permis de mieux comprendre l’administration française. J’ai en particulier découvert une police de l’air et des frontières très différente de celle que je connaissais.
À mon retour au Cameroun, j’ai mis en place de nouvelles méthodes de travail, fondées sur la définition d’objectifs et l’évaluation des résultats : certains collègues s’en souviennent encore et témoignent que travailler avec moi était différent.
J’ai aussi apprécié de voir mon mémoire de Master sur Les agences de régulation au Cameroun publié par l’ENA.
Dans votre parcours professionnel, quels ont été les leviers ou, à l’inverse, les freins qui vous ont permis, ou pas, d’accéder aux postes de responsabilité ? Pensez-vous que la contrainte réglementaire – par exemple les quotas- soit la meilleure manière d’obtenir la parité entre les femmes et les hommes ?
Le chemin était d’autant plus difficile qu’il n’y avait pas de quotas ni de politique claire en faveur des femmes. Il y avait peu de femmes gradées qui pouvaient aspirer à des postes de responsabilité : nous n’étions que quatre, et nous ne figurions pas sur les listes de propositions de nomination.
J’ai donc mis treize années pour obtenir le grade de Commissaire Principal, alors que la durée statutaire est de dix ans.
Et lorsque le Directeur des renseignements généraux est parti à la retraite en juillet 1999, alors que j’avais assuré l'intérim du poste pendant six mois, le Secrétaire général a refusé ma confirmation à ce poste en février 2000, au motif que ce n’était pas un poste pour une femme.
J’ai accédé au rang de Directrice en 2003, soit vingt-et-un an après ma sortie de l’école de police et ce n’est qu’en 2014 qu’une femme policière a été à nouveau nommée directrice. A ce jour, aucune autre femme n’a encore repris le flambeau.
La question de la conciliation de la vie professionnelle et familiale a -t- elle connu des évolutions favorables dans votre univers professionnel ? Le « présentéisme » y est-il la norme, et le télétravail a-t-il simplifié ou compliqué la gestion des temps ?
Le congé de maternité est de 14 semaines consécutives à partir de 4 semaines avant la date prévue pour l’accouchement, et à la reprise, on bénéficie d’une heure de tétée par jour à prendre soit le matin, soit en fin de journée. Chaque femme gère cette situation de manière personnelle. Certains patrons sont compréhensifs, d’autres non. Mon époux a pris la responsabilité de s'occuper de notre fille de 8 mois afin de me permettre d'assister à une formation. Il m'a soutenue dans mon travail autant que possible.
La maternité s’est-elle traduite par une mise en arrêt, momentanée ou durable, de votre progression de carrière, comme un « plafond de verre » ?
La présence d’une nounou pour mes trois enfants m’a permis de travailler sans trop de contraintes familiales.
Votre carrière a-t-elle été épaulée par la présence d’un tiers ? Quels ont été vos « alliés » ? Avez- vous participé ou recouru à des réseaux féminins ?
La conférence de Beijing de 1995, axée sur la promotion des femmes, a servi de levier majeur au niveau national. Chaque ministère devait nommer une femme au sein du cabinet du ministre. Le souci de conformité à cette règle a également soutenu ma promotion comme directrice au sein de la police camerounaise, où j’avais été à plusieurs reprises adjointe aux directeurs.
Parallèlement, je me suis engagée dans des associations professionnelles : l'Association Internationale des Femmes Policières et l'Association Camerounaise des Femmes Juristes.
Et ma trajectoire a été incontestablement illuminée par le prestige de l'ENA.
Avez- vous été confrontée à des propos ou agissements sexistes ? A des stéréotypes de genre ?
Un épisode m’est resté en mémoire : lors d’une réunion à laquelle je suis arrivée en avance dans le bureau du directeur, celui-ci m’a immédiatement demandé : « Prenez le torchon et nettoyez les places, il y a beaucoup de poussière ici. » Surprise, je lui ai demandé pourquoi je devrais le faire. Il a simplement répondu : « Parce que vous êtes une femme » et j’ai répliqué : « Non, je suis un commissaire de police ». J’ai alors nettoyé uniquement ma place avant de m’asseoir. Chaque collègue qui arrivait a suivi mon exemple en nettoyant son propre espace.
Savez- vous comment se situe votre univers professionnel en termes d’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes ?
En principe, les rémunérations dans l'administration publique sont égales. Cependant, les enfants sont généralement affiliés aux hommes, ce qui amène les femmes à payer des impôts comme des célibataires et à ne pas recevoir d'allocations familiales, sauf si elles soumettent un dossier avec l'accord de leur conjoint. Ce dernier ne recevra alors plus d’allocations familiales
Quelles mesures pour l’égalité entre les femmes et les hommes avez-vous personnellement mises en œuvre, soit dans votre management quotidien, soit dans la conception d’une politique publique ?
J’ai développé la féminisation des titres et introduit des formations permettant de débusquer les stéréotypes. Et j’ai veillé dans mon management d’équipe à valoriser la performance des collègues femmes.
Croyez- vous qu’il existe un « leadership féminin » ou des pratiques managériales propres aux femmes ?
Tout est lié à la sensibilité de la personne et à sa vision du Moi…mais il m’a semblé que la méthode de traitement des problèmes administratifs était différente : les femmes ont généralement une approche « résolution des conflits », alors que les hommes vont au choc !
Entretien réalisé en mars 2025.
Marie-Christine ARMAIGNAC Mission Egalité Femmes Hommes
Confédération internationale des anciens de l’ENA et de l’INSP

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