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Entretien avec Agnès ARCIER pour la commission Femmes

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Commission Égalité Femmes-Hommes

07/10/2017

Agnès Arcier est diplômée de l’ESSEC et ancienne élève de l’ENA (promotion Diderot).

Son parcours au sein de l’Etat est varié, avec pour lignes directrices l’international, l’accompagnement des entreprises et le management de réformes. A sa sortie de l’ENA en juin 1986, elle a d’abord été chargée de mission export pour les secteurs armement et naval, à la direction des relations économiques extérieures (DREE) du Ministère des finances, puis, de 1990 à 1994, conseiller commercial auprès de l’ambassade de France au Japon. Elle devient chef de bureau à la DREE en 1995 et, en mai, directrice de cabinet de la secrétaire d'Etat au commerce extérieur. Elle prend ensuite en charge le bureau de l’investissement international et des PME puis rejoint en 1998 la direction générale des entreprises (DIGITIP) qui venait d’être intégrée au sein du Ministère de l’économie. Successivement comme sous-directrice, puis chef de service, elle y pilote le lancement de la politique des pôles de compétitivité, suit les problématiques européennes sur l’innovation, et est aussi amenée à mettre en œuvre des fusions. En 2009, elle devient PDG du GIP interministériel ADETEF, agence publique française de coopération technique internationale. A la suite de la décision de l’Etat de fusionner les organismes existant, elle est promue en 2015 administratrice générale des finances publiques. Elle est aujourd’hui en charge de la direction nationale spécialisée pour les non-résidents, en cours de réforme.

Le dynamisme professionnel d’Agnès Arcier a pour corollaire un tempérament militant : présidente-fondatrice en 1998 d’Administration Moderne, association de femmes hauts fonctionnaires qui agit pour la réforme de l'administration ; co-fondatrice du groupe des alumni Grandes écoles au féminin, et de la Commission femmes de l’Ena, ainsi que depuis 2014, du réseau Mixité et Gouvernance en Méditerranée. Elle est l’auteur d’un Livre de réflexion et d’action managériale : « Le Quotient féminin de l’entreprise, Questions de Dirigeants » (CPA, Editions Village mondial, 2002). Elue locale de 2008 à 2012, elle a par ailleurs été distinguée à plusieurs reprises : prix du Jetro, ordres du Trésor sacré japonais, de la Légion d’honneur, et du Mérite.

A quel moment la question de l’égalité femmes-hommes s’est-elle imposée à toi ?

Issue de la classe moyenne, mon parcours est un exemple de la méritocratie républicaine, résultat d’une ascension sociale progressive depuis trois générations. Je suis entrée à l’Ena après des études à l’ESSEC et une année à Sciences po. Mais au moment de la préparation de la sortie a surgi le barrage des préjugés et le poids des stéréotypes, de manière inattendue. Le directeur des stages m’a souligné fortement la difficulté pour une femme de conduire une carrière à l’international ! Je suis passée outre et j’ai choisi la direction des relations économiques extérieures (DREE) du ministère des finances. il y a eu ensuite la révélation des difficultés spécifiques aux femmes dès mon premier poste à la DREE. Mon classement de sortie me permettait de choisir le bureau export armement et naval. Que n’avais-je pas fait ! Mon arrivée a eu pour conséquence le retrait de la zone du Moyen-Orient de mon périmètre d’attributions ! Plus tard, au moment de partir en mobilité dans le réseau international, j’ai exprimé le vœu de rejoindre le Japon, où une vacance existait. Mais dans un premier temps, ce choix m’est interdit par le sous-directeur RH parce que je suis une femme ! Au mépris d’ailleurs de toute compréhension en profondeur de ce pays et de la façon dont on peut y travailler. On préférait m’envoyer au Caire (c’était une autre époque…). Je me suis battue, j’ai demandé un arbitrage à mon directeur qui a bien voulu comprendre que j’étais parfaitement préparée à un poste au Japon. Et j’y ai passé ainsi cinq années, passionnantes, lors desquelles j’ai acquis une solide expérience dans l’organisation des campagnes commerciales et des visites ministérielles.

A quel moment cette expérience personnelle prend-elle la forme d’une ligne directrice, si j’ose dire, « politique » ?

Ce sont des rencontres qui m’ont aidé à formuler les choses. Lorsque qu’Alain Juppé en 1995 a choisi de composer un gouvernement paritaire, la Secrétaire d’Etat au commerce extérieur, Christine Chauvet, ne s’étant vue proposer que des hommes, elle a demandé à ce qu’une femme soit son directeur de cabinet. C’est comme cela que le hasard m’a fait la rejoindre. Je le dois uniquement au fait d’avoir travaillé tard le soir, ayant un bureau non éloigné de mon directeur : il l’avait remarqué !

Si l’expérience a été de courte durée, elle m’a permis de rencontrer une ministre qui était par ailleurs présidente de la commission femmes chefs d’entreprise au sein du patronat, et c’est elle qui m’a sensibilisée à l’idée de réseau. J’ai aussi eu l’occasion ces années-là d’animer une réflexion collective de managers du privé sur le « management au féminin », une des premières sur le sujet. C’était suite à une rencontre avec un chef d’entreprise, à l’occasion de l’anniversaire du programme CPA de la chambre de commerce de Paris. De là est née ma conviction sur l’intérêt de la mixité. Plus tard, à l’occasion d’une formation interministérielle de chefs de bureaux, nous avons partagé avec quelques femmes l’idée que dans la réforme de l’Etat on ne parlait jamais de management, mais toujours de réformes de structures ; d’où l’idée de lancer un réseau de femmes hauts fonctionnaires prenant la parole sur les idées de réforme. Ainsi est née en 1998 l’association « Administration moderne » dont je suis la co-fondatrice avec Nathalie Tournyol-du-Clos. Administration moderne est un réseau professionnel féminin interministériel, force de propositions en matière de modernisation de l’action publique et d’apport de la mixité. Ses lignes directrices sont de prôner le changement au sein de l’Etat par l’exemple donné d’en haut et par l’action managériale.

Quelles sont les propositions portées par « Administration moderne » ?

Les femmes d’Administration moderne veulent avant tout que l’Etat utilise et gère les compétences, avec des parcours fondés sur les talents, sans privilèges réservés à certains corps ; et se montre plus efficace dans l’action, en fonctionnant moins en tuyaux d’orgue. Nos propositions les plus récentes (issues de notre colloque en novembre 2016, « Moderniser l’Etat : un sport de combat ? ») visent à doter les services du Premier ministre de capacités d’expertise, de coordination et de pilotage ; à créer une DRH unique de l’Etat employeur ; à exiger une capacité de management avéré pour l’accès des cadres supérieurs et dirigeants de l’Etat aux fonctions les plus élevées. Nous demandons enfin que soit ajoutée à la loi organique relative aux finances publiques, l’obligation pour le budget national d’intégrer l’égalité comme principe de construction, en tout premier lieu l’égalité femmes-hommes. Administration moderne se bat aussi bien sûr, avec les réseaux ministériels féminins, pour l’application prolongée de la loi Sauvadet en ce qui concerne les postes de direction ; mais aussi pour faire appliquer l’article 52 oublié de la loi, qui prévoit la mixité des personnalités qualifiées dans les conseils d’administration des établissements publics.

Comment caractériserais-tu ta pratique du management ?

Ma pratique personnelle du management est « au féminin » dans le sens où j’ai développé un talent pour faire converger des parties prenantes autour d’objectifs communs ; j’ai aussi tendance à utiliser la logique inductive (l’« intuition ») autant que la logique déductive car je me suis rendue compte qu’elle avait une valeur, selon ce qu’exprimait si bien l’ancien président du groupe japonais NEC, «sentir le souffle de l’air du temps ». En même temps, personne n’étant parfait( !), j’ai aussi pour partie un style plutôt « masculin » de management : j’incarne facilement le chef, j’allie un style participatif avec une capacité de décision rapide, et je n’ai pas (trop) peur des challenges. J’ai d’ailleurs observé, c’est vrai dans l’administration comme dans le privé, qu’on confie souvent un poste à une femme quand il y a une situation à risques, jamais ou presque quand il s’agit d’un « fromage ». Et souvent elles surmontent les obstacles, articulant analyse stratégique et réflexion organisationnelle et pragmatique. J’espère réussir mon prochain challenge selon ce mode. Une chose est certaine, et ce n’est ni féminin ni masculin, mais simplement une question de bon sens, bien gérer les compétences est pour moi une question absolument clé dans toute modernisation.

Pour terminer sur l’ouverture internationale très importante pour toi, peux-tu résumer ton action en faveur des femmes, hauts fonctionnaires dans les pays méditerranéens ?

Lorsque j’étais PDG de l’ADETEF, j’ai rencontré un directeur du ministère des finances marocain engagé sur la question de l’égalité, et qui a développé un budget tenant compte la budgétisation sensible de l’égalité des genres dans son pays. Cela m’a suscité l’idée d’organiser, après les printemps arabes, avec nos partenaires des administrations de la Méditerranée, un colloque international sur le thème « Mixité et Gouvernance ». Vendre ce sujet aux grandes directions de plusieurs ministères français avec lesquelles ADETEF travaillait n’était pas gagné d’avance, loin s’en faut, mais la décision prise par le Parlement français d’imposer la parité au sein du Haut conseil des finances publiques, fin 2012, a permis un changement d’attitude. Le colloque a pu avoir lieu en 2013. Ensuite a émergé naturellement, avec l’appui financier de la DIMED et du ministère des affaires étrangères, et le soutien du Secrétariat général de l’UPM, l’initiative d’un réseau de femmes hauts fonctionnaires en Méditerranée, qui vise à conforter l’importance de la mixité dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. C’est un sujet sur lequel je reste aujourd’hui très impliquée, en plus de mon job, étant directrice du projet.

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